22-07-2025 22:30 - L’élite fantôme/El Wely Sidi Heiba

Weli Cheikhbouya -- En Mauritanie, le savoir n’a pas libéré ; il a simplement habillé d’érudition des réflexes archaïques et pernicieux.
Malgré ses ressources, malgré ses opportunités, malgré même une génération entière formée dans les amphithéâtres des grandes universités d’Europe, du Maghreb, du Machrek et d’Afrique, le pays ne se lève pas. Il piétine. Et ses élites, censées guider, inspirer et transformer, ankylosées, brillent par une absence et une complicité qui dessinent le portrait d’une nation en otage, ligotée par son propre potentiel inabouti.
Un constat affligeant
Plus de soixante-cinq ans après son accession à l’indépendance, la Mauritanie demeure un paradoxe. Elle peine toujours à s’inventer comme nation souveraine, stable et prospère.
Des diplômes, mais peu de vision
Le savoir n’a pas libéré ; il a seulement maquillé d’érudition des réflexes archaïques et pernicieux. Les amphithéâtres étrangers ont certes produit des juristes, des ingénieurs, des économistes, des planificateurs, des oulémas, des historiens, des sociologues.
Mais où sont les visionnaires capables de transcender les calculs tribaux, les loyautés féodales ou la peur de déplaire ? Une élite se juge à sa capacité à briser les chaînes qu’elle ne porte pas. La nôtre préfère négocier sa place dans le système social anarchique ambiant plutôt que de le réinventer.
Le syndrome de l’élite-clientèle
Le drame est moins dans l’inexistence des élites que dans leur mutation en caste clientéliste. Elles administrent le déclin avec une efficace résignation, substituant à l’intérêt général des stratégies de survie individuelle.
Certains parlent réforme dans les salons, mais s’évanouissent dès qu’il faut affronter les bastions de l’immobilisme. D’autres, bardés de doctorats, reproduisent des schémas moyenâgeux : autorité verticale, pensée unique, mépris des urgences populaires.
Le pays s’étiole et l’hémorragie s’amplifie
Pendant ce temps, la Mauritanie, en l’absence d’élites dignes de ce nom, s’enfonce sans boussole. Sans projet. Sans futur.
Les effets sont tangibles
- La pauvreté persiste. L’analphabétisme résiste. Les tensions sociales s’exacerbent.
- Les discours simplistes prospèrent, la résignation s’installe dans un terreau fertile pour les populismes et les replis identitaires.
- La jeunesse diplômée et les talents fuient, préférant l’exil aux combats impossibles.
- Les inégalités demeurent sous le vernis des discours progressistes.
Pendant ce temps, l’élite mercantile s’active dans un théâtre d’ombres : colloques sans suites, projets sans lendemain, réformes cosmétiques. Elle maîtrise l’art de parler du changement sans jamais en prendre le risque.
Une aristocratie du courage
Il ne s’agit pas de récrimination stérile, mais d’un appel aux armes ntellectuelles. L’élite digne de ce nom doit :
- Renaître : échanger le confort des privilèges contre l’inconfort des vérités.
- Oser : préférer l’exil intérieur (la marginalisation honorable) aux compromis honteux.
- Servir : transformer le savoir en leviers concrets pour l’éducation, l’emploi, la justice.
Sans cette métamorphose, l’histoire retiendra que la Mauritanie avait tout pour réussir - sauf ces femmes et ces hommes qui, ayant reçu beaucoup, n’auront presque rien donné.