Ibnou Diop - « Innaa Lillaahi Wa Innaa Ileyhi Raajiûn », « Allahoumma Yakhfirlahou wa Yarham’hou », « Allaahoumma yakhfirlahou kamaa Rabbanii Saghîran ». Je ne cesse de répéter ces prières depuis ce mardi 10 mars 2015, ma pensée obsessionnelle tournée vers celui qui, au-delà d’être mon neveu de par notre filiation, était véritablement mon frère jumeau. Ceux qui nous ont connus enfants et, bien plus tard, à un âge plus avancé, savent de quoi je parle.

Ce jour-là, je sors d’une réunion extérieure et saute dans un métro pour retourner à mon travail. Pour passer le temps, j’ouvre un livre et plonge dans une lecture silencieuse.

Soudain mon téléphone sonne. L’écran de mon téléphone affiche le nom de mon grand frère, à Nouakchott. Je décroche. Nos échanges téléphoniques commencent toujours ainsi :

« Allo, Codda ! », lance-t-il.

« Bonjour Moustaf, comment vas-tu ? » (Il porte le même prénom partiel que notre neveu Amadou Moustapha Gaye, que la plupart de ceux qui le connaissent appellent Gaye). « Une mauvaise nouvelle. Gaye vient de décéder », dit-il d’une petite voix, rendue moins audible par le bruit du métro dans un tunnel. Je lui fais répéter, comme pour m’assurer que j’avais bien entendu « Gaye vient de décéder ». « Qui vient de décéder ? ». Il répond : « Gaye, il vient de décéder ». Ma tentative inconsciente (un déni ?) de lui faire répéter, pour peut-être espérer entendre autre chose n’a pas pu suffi à modifier la réalité de ce que je venais d’entendre. Un long silence m’envahit. Je me sens comme étourdi et ne dis rien. Mon frère : « Allo, tu m’entends ? »

« Oui, je t’entends ». Je suis incapable de décrire les minutes qui ont suivi et la fin de notre échange. Je me souviens vaguement lui avoir dit : « OK, Je te rappelle ». Je raccroche. Mon cœur bat fort et ma respiration s’accélère. Je suis pris d’une agitation sur mon siège. Je reprends mon livre, non plus pour lire, mais pour le porter à mon visage, comme pour cacher une émotion forte mal contenue dans un espace public.

Cet instant précis ouvre comme une page d’un livre d’une vie de souvenirs tous azimuts. Des images de Gaye défilent sans arrêt dans ma tête. Je revois notre enfance dans notre maison familiale à Kaédi, entourés des nôtres. Notre parcours scolaire primaire commun, au cours duquel nous avons partagé les premières classes, puis l’épisode partiel de Nouad’hibou, au collège, ensuite la fin du collège et le lycée de Kaédi, l’étape universitaire marocaine, ses séjours professionnels à Paris où j’avais fini, pour ma part, par me poser, quand lui avait choisi de rester travailler et vivre au Maroc, avant un retour définitif au pays.

Amadou Moustapha « GAYE » était un garçon brillant. Nos échanges sur bien des sujets à la fois d’actualité, mais sur beaucoup d’autres sujets étaient passionnants. J’adorais lorsque nous avions des visions différentes et des façons de raisonner sur des problématiques diverses, sur la société, l’art, le cinéma, etc. Nous pouvions rester très longtemps sur Skype à refaire le monde. Il avait cette qualité de ne jamais se complaire dans la médiocrité.

C’était son exigence de tout approcher par la méthode. Journaliste hors pair, il avait l’art de la précision. Une sorte de jeu cérébral dans lequel il était admirable. Je suis très touché par tous ces témoignages le concernant sur Facebook, par ceux que je reçois directement et ceux transmis à la famille, dont je prends aussi connaissance.

Au regard de ce que je lis sur les pages Facebook de mes neveux (désolé, je n’en ai pas), j’ai eu la confirmation qu’il fait l’unanimité sur des qualités majeures d’un être social et foncièrement sociable. Gaye était généreux, cultivé, drôle (j’adorais lorsque nous étions sur le registre traditionnel du « thiôloyaagal » bienveillant, tous les deux, en famille ou avec nos amis communs de Kaédi, Nouakchott, du Maroc et de France.

Je perds un neveu, je perds mon frère jumeau, je perds un ami. En attendant de te rejoindre, quand et où Allah le décidera, Gaye, tu vivras toujours en moi.

Qu’Allah Le-Tout-Puissant t’accueille au Paradis et repose en paix.

Ibnou Diop
France