10-01-2014 21:55 - Des inquiétudes

Des inquiétudes

En avril 2012, le pays a été secoué par l’affaire de l’autodafé de Ryad : des militants de l’IRA avaient répondu à l’appel du président de leur organisation pour brûler quelques opuscules appartenant à l’exégèse traditionnelle du Fiqh malékite, autant dire des fondamentaux de la théorie et de la pratique religieuses dans cette zone du monde.

La réaction a été immédiate même si elle a rapidement pris l’allure d’une orchestration. Partout en Mauritanie, des foules excitées ont dénoncé «une apostasie gravissime» et exigé «un traitement violent pour décourager toute hérésie du genre». Certains sont allés jusqu’à demander «l’exécution immédiate des auteurs de ce crime».

Même les partis politiques, hier premiers alliés de l’IRA et de son président, n’ont pas pu résister à l’hystérie collective. Communiqués et marches se succédèrent. Une, deux, trois voix s’élevèrent pour appeler à la Raison mais personne n’entendit…

Un peu moins de deux ans après, nous voilà en face d’une «autre hérésie» et voilà que notre élite reproduit la même réaction. Avec cette fois-ci le rôle «d’excitateur» dévolu aux médias privés qui ne sont plus capables de faire de l’information ou de l’analyse froide. Tout le monde est emballé. Certains organes en font d’ailleurs un combat personnel. Beaucoup de raisons de s’inquiéter.

Dans leur déchainement, radios et télés privées – en plus des sites, moins suivis certes – ont joué le rôle qui devait être celui des organes publics. Il y a été parfois question de savoir si «on n’avait pas abusé de la liberté d’expression dans un pays où tout reste à construire».

J’ai entendu un journaliste demander à l’auditeur qui appelait la chaine : «Est-ce qu’il n’est pas temps pour les organes de presse d’apprécier au préalable à qui la parole doit être donnée ?» Sans oublier toutes les évocations franches ou sous-entendues de «la menace de guerre civile» qui pèserait «si l’on continue à donner la parole à n’importe qui».

La grande inquiétude est là : il faut éviter que les antidémocrates ne trouvent prétexte ici pour vouloir limiter l’espace chèrement acquis. Si l’on ajoute l’atmosphère générale assombrie par la résurgence des discours hystériques et obscurantistes, l’on est en droit de craindre pour les espaces de liberté qui n’ont pas qui les défendre.

Rappelons-nous que ce qui fait que nous avons le droit de dire ou d’écrire ce que nous voulons, c’est entre autres parce qu’il y a des lois qui punissent ceux d’entre nous qui auront versé dans l’excès ou dans l’affabulation. La loi est là pour réprimer les dérives mais elle doit sévir seulement après l’exercice du droit à la libre expression.

Autre grande inquiétude, c’est cette tendance à vouloir faire passer une justice de la rue. Ce n’est pas à la foule de dicter son verdict aux institutions spécialisées. Ni à des particuliers de décider de la mort de quelqu’un fut-il le plus grand et le plus abject des criminels (il faut continuer à demander l’arrestation de celui qui a mis publiquement à prix la tête du jeune auteur).

Laissez la justice suivre son cours et surtout écoutez ce qu’en dit la seule institution habilitée à trancher sur ces questions : le Conseil de la Fatwa. Que l’écrit fonde un débat non pas sur le seul aspect de «la religiosité» mais sur la réhabilitation de notre Morale sociale, de notre culture, de notre vie en commun qui exige de nous un minimum de respect des uns vis-à-vis des autres. Et surtout un respect rigoureux des Institutions.

Qui, au sein de la Magistrature, peut rappeler le principe de l’indépendance de la Justice ? qui peut rappeler la présomption d’innocence ? quel syndicat de Juges peut vouloir tempérer cette hystérie collective ?

…Je ne sais pas… Je sais cependant qu’aucun syndicat de la presse ne s’est offusqué des attaques claires et nettes contre la liberté d’expression par les fascistes qui parasitent débats et réflexion… Rien de ce qui a été dit contre l’exercice de la liberté d’expression ou contre le métier de journaliste n’émeut visiblement les organisations chargées de défendre la profession… Pauvres de nous !

Publié par Mohamed Fall Oumeir




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Commentaires (10)

  • jamjam (H) 11/01/2014 16:19 X

    Il n'est pas facile de résister à "l'hystérie collective" M. Ould Oumeir. Rappelle-toi, en 1989-1990, parmi les journalistes maures, seul le Grand Habib a résisté au champs de sirènes des chauvins.

    Même la plume de Ould Oumair succombé au racisme ambiant anti-négro. Nous, on n'a pas oublié.

  • leguignolm (H) 11/01/2014 13:56 X

    Je me demande si ce petit d’origine forgeron, une ethnie non seulement minorité mais aussi marginalisée aura même chance que Biram, lui hérité d’une couche marginalisée mais majoritaire le harratin. Quand les partis politiques ethnocentriques ont fuit Biram, seule la presse qui contenue le soutenir et là j’interpelle le jeune journaliste influençable ; CAMARA Seydi Moussa avec son titre « à Mon Ami Biram ».

  • Elwatani70 (H) 11/01/2014 11:54 X

    Bravo OUMEIR pour ce article pertinent !
    a bon entendeur salut.

  • mine-you (H) 11/01/2014 10:08 X

    Mr trouve que la démocratie est menacée lorsque ses sorties de laudateur du pouvoir sont commentés sévèrement, mais s'inquiète du manque de liberté, attaque d'autres journalistes qui ont les mêmes réflexes que lui quand-ils se sentent touchés d'une façon ou d'une autre.

    Oumère tu es très mal placé pour t'inquiéter de ce qui se passe, la seule différence entre toi est cette hystérie collective et que tu ne te sens concerner que lorsque ça touche ta propre personne. Sinon il n'y a plus hystérique que ton dernier papier sur les commentaires.

  • zouwoyguil (H) 10/01/2014 23:37 X

    ces donneurs de leçons en Islam doivent être freiné avant qu'il ne soit tard.

  • Ksaleh (H) 10/01/2014 23:11 X

    MENTION BIEN ! Mr Oumeir.

  • habouss (H) 10/01/2014 23:08 X

    Cette inquiétude ira crescendo tant que l'école de la raison marquera le pas derrière celle de l'obscurantisme venue d'orient. J'ai peur que nous soyons au crépuscule de cet instant de bonheur en la liberté d'expression. La rue et son populisme désuet a bouche durablement nos horizons, avec l'aide de nos démagogues de dirigeants. Voyez l'image qu'à offert le premier d'entre nous devant les grilles du Palais !

  • pannel (H) 10/01/2014 23:06 X

    Merci Mohamed Fall Oumère, analyse juste notre société spirituelle est l'adepte de l'exhibitionnisme et de l'opportunisme. Le sang des récitants de coran a coulé à flot en plein ramadan, ramadan, mais vu que ceux qui manifestent sont racistes et féodaux, il n' ya jamais de condamnation de leur part

  • Vent de Sable (H) 10/01/2014 22:57 X

    Un journaliste mauritanien vient de faire une sortie rocambolesque, dans laquelle il insulte sans ménagement tous les commentateurs anonymes du monde, en insistant en particulier sur ses propres compatriotes qu’ils a traités d’affabulateurs et de lâches, « deux «qualités», cultivées continuellement par nos internautes (une grande spécialité mauritanienne) » ecrit-il.

    Le même journaliste revient un jour après, pour parler d’ « inquiétudes ». Qu’est ce qu’il y a de plus inquiétant ?

  • Le Pacificateur (H) 10/01/2014 22:36 X

    Des inquiétudes : chaque année l'hypocrisie gagne du terrain dans les esprits des Mauritaniens.