L'Islam authentique considère la conquête du savoir, où le Sacré se mêle au Profane, comme une obligation pour tous, sans distinction aucune.

Mais, pour la connaissance des règles nécessaires à l'accomplissement des devoirs cultuels, la communauté peut, au besoin, compter sur ses élites scientifiques et morales qui se trouvent investies de sa confiance.

Il s'agit d'un acte démocratique, d'un choix, d'une investiture sur la base de la compétence reconnue dans le cadre d'un partage judicieux du travail au sein de la société. Toutefois, la responsabilité reste individuelle.

La conquête du savoir

Aujourd'hui, sur le plan de l'herméneutique, on doit considérer le texte révélé qu'on interroge ou qu'on essaie de comprendre comme un fait soumis à la réflexion. Certes, le texte sacré recèle un sens, des valeurs, des orientations qui relèvent de l'Universel. Mais un fait littéraire, historique, archéologique ou autre, quoique profane, très modeste et bien loin de l'universalité, recèle, lui aussi, une matérialité chargée de sens et de valeurs.

Pourtant, le critique ou l'exégète se trouve très souvent en deçà de cette réalité matérielle. Le tamis qu'il utilise laissent souvent tomber une quantité d'éléments et de significations. Il s'en contente et se résigne à élaborer sa pensée à partir du disponibles: c'est donc un résultat provisoire et perfectible.

Aussi doit-il en être conscient et espérer que les générations futures pourront saisir d'autres paillettes du réel et, partant, mieux comprendre le contenu matériel et immatériel de ce qui fait l'objet de l'enquête. Quelle que soit la nature de la recherche, il y a lieu de prendre en compte et la couche visible et les multiples strates qui risquent de rester invisibles.

Porteur de paix et bâtisseur de la société du savoir, l'Islam recommande implicitement au musulman de participer à tout ce qui favorise l'épanouissement de la société du savoir au profit de l'humanité tout entière.

Entre l'aménagement d'une mosquée et la construction d'une cité universitaire, l'équipement d'un laboratoire ou d'une bibliothèque, il y a tout lieu de croire qu'Allah, le Pédagogue et le Précepteur par excellence, préférerait l'université ou le laboratoire dans la mesure où le culte pourrait se pratiquer partout. Etant ce qu'elles sont aujourd'hui, les sociétés musulmanes se doivent d'opter pour ce qui enrichit la connaissance et permettrait au musulman de gérer le Cosmos et de jouer son rôle de lieutenant d'Allah sur terre.

"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme"

Voilà pour la conquête du savoir. Mais que faire pour sa gestion et sa bonne gouvernance? Allah a choisi Muhammad pour en faire un idéal à proposer en exemple à tous les musulmans de tous les temps. Muhammad est l'incarnation du beau et du bon. Voilà une litote qui synthétise le profil de la société que l'Islam se propose de bâtir. Muhammad, c'est-à-dire l'homme, le chef de cette entreprise, mérite sa qualité de prophète, de missionnaire et de leader à cause de la perfection de sa morale.

S'adressant au prophète, Allah déclare: "En vérité, tu es d'une condition morale éminente" (verset 4, de la Sourate LXVIII). Quelles que soient leurs divergences, les traducteurs reconnaissent que ce verset exalte la morale du prophète, l'excellence de sa conduite et la qualité de ses rapports à l'autre, qu'il s'agisse de Dieu ou de l'homme, qu'il s'agisse du Profane ou du Sacré.

L'expression "morale éminente" خلق عظيم connote les valeurs humaines comme la reconnaissance de l'autre avec ses différences, l'amour du prochain, l'égalité, la solidarité, la justice, la clémence, la mansuétude, la paix, etc. A chacune de ces valeurs, le Coran et la Sunna accordent une attention particulière.

Chacune de ces valeurs fondamentales fait l'objet de multiples recommandations. Le Coran et la tradition du prophète recèlent tout un programme éducatif afin que le titulaire de la science ne soit pas dépourvu de conscience. Voilà ce qui nous rappelle la parole mémorable de François Rabelais "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".

Ayant été amené à préciser l'essentiel de sa mission, le prophète a dit: "Ma mission a pour objectif de parfaire l'éminence de la morale". L'Islam propose donc un projet humaniste où l'homme, tout en étant la mesure de toute chose, a charge de bien gérer l'univers, en tant qu'être libre et responsable. Il se doit, en toute circonstance, de choisir et d'agir sur la base et à l'aune de l'amour et de la raison, de la justice et de la paix.

Mhamed Hassine Fantar
Professeur émérite des universités