Cridem

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03-10-2013

23:26

De la culture du conflit a celle de la conciliation (1)

A l’heure où les buccins d’une nouvelle guerre, que certains s’acharnent à mondialiser (2), retentissent en Syrie, si longuement chantre de la coexistence pacifique entre les peuples et les religions, on a retrouvé ce modeste témoignage d’une autre quête, entre les civilisations occidentale et musulmane…

Il met en cause un de nos fidèles collaborateurs. C’était en 2005 ; aujourd’hui, presque une antiquité, déjà… En ces temps de jugements péremptoires, l'homme de responsabilité traque les espaces et les temps où s'apprécient les indispensables nuances à toute bonne décision. Monsieur Joseph LeBaron, ambassadeur des Etats-Unis en Mauritanie (3), paraît de cette trempe.

Considérant les opinions courantes de ses compatriotes sur les mahadras islamiques, il lui a semblé bon de profiter de son séjour parmi nous pour visiter, lui-même, un tel établissement.

C'est donc à titre privé que, négligeant tout protocole (4), cet homme de pouvoir est venu dernièrement à Maata Moulana, célèbre cité éducative du Trarza. Après avoir assisté à un cours de fiqh, sous une khayma bien de chez nous, il a pu discuter, lors d'un repas fort convivial, avec quelques élèves et professeurs du lieu. Parmi eux, un français qui lui tint les propos suivants.

« Bienvenue, monsieur l'ambassadeur. Français de vieille souche, c'est à une présumée ascendance écossaise que je dois mon éloignement instinctif de la culture anglo-saxonne. Notre ancêtre putatif, chevalier au service de la reine Marie Stuart, eut, en effet, à souffrir des Anglais, et, depuis, ma famille a cultivé un détachement certain vis-à-vis de leur société.

Me fiant à la seule sève de ces racines, j'aurais dû, normalement, m'écarter loin de vous. Or, c'est de très bon cœur que je participe à la présente réception. Pour une raison fort simple : je suis musulman.

A ce titre, j'ai la conviction que chacun d'entre nous – vous, monsieur l'ambassadeur, comme moi, quidam sans étiquette – provient d'une source unique où nous nous retrouverons, en définitive, tous réunis : « Inna lillahi oua inna ileyhi raji'oune »
(5). Certes, monsieur l'ambassadeur, vous n'êtes pas obligé de partager cette foi. Mais chaque musulman la fait sienne. Voilà pourquoi la culture islamique est une culture de la conciliation. »

« Comment ? », allez-vous me dire, « Et les attentats ? Le terrorisme ? Les appels au jihad contre les petits et grands satans ? » Certes, monsieur l'ambassadeur, il y a des extrémismes. Ces extrémismes ont des causes et des remèdes : il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Mais, somme toute, y-a-t-il un seul pour mille musulmans prêts à rallier, concrètement, de tels désespoirs ?

C'est fort peu, au regard des extrémismes chrétiens et athées qui ont forgé – forgent encore, plus secrètement – notre Histoire occidentale désormais mondialisée. Certes, monsieur l'ambassadeur, un pour mille, sur un milliard et demi de musulmans, cela fait, tout de même, du monde. Mais bon, cela ne change rien à la réalité de mon affirmation : oui, la culture musulmane est une culture de la conciliation.

Vous avez pu constater la présence, en cette mahadra, de quelques occidentaux : français, espagnols, américains, autrichiens… Que venons-nous chercher, en ces lieux arides, dénués de toute commodité ? Une connaissance religieuse, bien sûr.

Mais, aussi – et c'est, souvent, le centre de notre quête – une nouvelle culture, une nouvelle façon d'appréhender, au quotidien, les évènements de la vie. Car notre culture occidentale est une culture de l'affrontement. Notre Histoire est sanglante, heurtée, hantée d'inquisitions, de bûchers et de guerres. Ce que nous venons apprendre, ici, c'est l'art de la conciliation, du vrai respect d'autrui qui va beaucoup plus loin que la seule tolérance (6).

Monsieur l'ambassadeur, vous avez fait, en moins de deux cents kilomètres, un cheminement extraordinaire que peu d'hommes de pouvoir se sont astreints à accomplir. Votre simplicité, votre écoute et votre attention à nos humbles existences ne vous auront pas diminué, bien au contraire.

Permettez-nous de vous en considérer plus hautement encore et de souhaiter que votre séjour élargisse la voie des meilleures adéquations entre nos cultures, ici même et jusqu'en votre pays, si souvent engagé dans le destin de la communauté musulmane. Merci encore de votre visite, bon retour à votre ambassade et que la paix vous accompagne jusqu'à votre ultime retour à vous-même. Amine. »


Ian Mansour de Grange

Notes:

(1) : D’après l’article « Cordiale rencontre franco-américaine à Maata Moulana », paru in « Nouakchott-Info » N° 688 du 01/12/2005, et signé de Bahaïda Ould Ghoulam.

(2) : Le système économique mondial est au plus mal, une fois de plus, et le seul remède envisageable, pour les puissants qui n’ont, en fait, d’autre projet que de se maintenir à leur place, est de détruire pour reconstruire, en lançant les peuples les uns contre les autres…

(3) : Il y resta en poste du 01/09/2003 au 22/11/2007.

(4) : On avait particulièrement apprécié la discrétion de son équipage : 4x4, chauffeur et unique garde-du-corps…

(5) : « De Dieu, nous venons et c’est à Lui que nous revenons. » Saint Coran sourate 2 – verset 156

(6) : D’autres, musulmans de souche, font le cheminement inverse, sans se rendre compte, le plus souvent, qu’en adoptant la culture de l’affrontement, ils tombent dans le pire des pièges tendus à leur foi…




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