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'A l’heure de la rupture' chez le 'Président des pauvres' dixit le vieux Tigh Ould Sara à Mekké 2 à El Mina [PhotoReportage]
Quelque part, à Mekké 2, à El Mina, une voiture vient de s’immobiliser. En une fraction de secondes, elle est assiégée par une meute de gamins bruyamment indiscrets et des jeunes filles. A quelques mètres de là, le vieux Tigh Ould Sara observe la scène.
Il explique que depuis le début de cette année, cet inconnu distribue gracieusement des blocs de glace à toute la zone. Ici, à Mekké 2, beaucoup de familles n’ont pas accès à l’électricité.
Dans le sillage des maisons, celle du vieux Tigh Ould Sara est un véritable trou à rat. Alors qu’il venait de me faire le tour de sa maison sans toilettes et sans bordes pour se protéger contre les voleurs et l’intrusion des ânes, le vieux Tigh Ould Sara, entouré de ses petits-enfants, lance à la fin de la visite, avec une pointe d’humour dans la voix : "Tu vois, je suis vraiment le président des pauvres !".
Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Lui, non plus. Et pourtant, le vieux Tigh Ould Sara a eu une journée ingrate.
En effet, tous les jours, ce courageux père de famille parcourt les rues de Tévragh-Zéina, frappe à toutes les portes, squatte devant les maisons démesurées dans l’espoir de tomber sur une personne pleine d’humanité qui lui donnerait des billets d’ouguiya de dépanne.
Cet après-midi, c’est la dèche totale. Le vieux Tigh Ould Sara est rentré juste avec 1 kg de sucre par magie. Ce soir, à l’heure de la rupture, il n’y aura pas de dattes à jeter dans la bouche. On se contentera, y compris moi également, de zrig, du thé, du pain et plus tard dans la soirée de la bouillie de mil.
Ici, père, mère, belle-fille, petits-fils partagent en tout trois baraques. Il y’a quelques années, le vieux Tigh Ould Sara, qui vivait avec sa famille aux kebbas de Mendès, a bénéficié gratuitement d’une distribution de lots de terrains. Grâce à l’un de ses fils, qui est d’ailleurs maçon, la famille avait réussi à construire deux chambres en béton. Puis, un jour, son fils est tombé malade. Depuis, les travaux ont été arrêtés.
Né en 1940 à Bababé, dans le sud de la Mauritanie, le vieux Tigh Ould Sara a été maçon jusqu’au bout de ses 60 ans comme son fils. Sauf que lui, il aura résisté jusqu’à la moelle des os. C’est la survie qui a poussé ce vieux abattu par la pauvreté et la misère à se transformer en un infatigable quêteur, chasseur et cueilleur de donations.
En plus de veiller sur ses enfants, il doit également veiller sur ses petits-fils. Il y’a quelques mois, l’une de ses filles est revenue s’installer à la maison, après le décès de son mari qui fut militaire. Des bouches supplémentaires à nourrir encore.
En quittant cette maison, je me remémorais sans cesse en cours de route de cette phrase du vieux : "Tu vois, je suis vraiment le président des pauvres !" Après le détour, difficile de ne pas y croire. A la seule différence qu’il lui manquait juste une garde rapprochée, un directeur de cabinet, un chef de protocole, un premier ministre et des ministres à sa solde.

































