Cridem

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07-06-2013

06:00

Islam mazouté (3)

Terrorisme islamiste ? Terrorisme islamique ? Ou, plutôt, islam terrorisé ? Affublé du terrorisme comme d’un masque grotesque, une caricature obscène. Pour nous, musulmans lambda, associer terrorisme et islam, ça a quelque chose de contre-nature.

Une incongruité qui ne correspond, en rien, à ce que nous apprenons et vivons, quotidiennement, de notre religion. Corruption ? Manipulations ? Convulsions ?

Essayons, un peu, d’y voir clair… Après avoir brossé, dans notre première livraison, le tableau général de la situation, recadré, dans le second article, sur la Mauritanie, on va commencer, à présent, à percevoir d’étranges odeurs…

L’exode rural a porté un coup fatal à l’organisation sociale traditionnelle des espaces mauritaniens. Les années 70 voient un très grand nombre d’esclaves (Abids maures, Mathioubés halpulaars, Komos soninkés), d’affranchis (Hartanis maures, Gallun-koobés halpulaars, Komo-xosos soninkés), et de castés – forgerons, griots, eznagas, etc. – s’agglutiner à Nouakchott, dans des « kébbés » – variété locale du bidonville – en attendant d’hypothétiques attributions foncières, tandis que les diverses aristocraties se reconvertissent en bourgeoisie (hauts fonctionnaires civils et militaires, médecins, juristes, affairistes, etc.) et investissent les quartiers huppés, au voisinage des riches coopérants non-musulmans.

L’abolition officielle de l’esclavage, en 1981, vient entériner les faits et l’on se retrouve dans cette étrange situation où la libération des anciens rapports de sujétion débouche sur une distanciation extrême des conditions de vie : l’ancien maître se repose dans sa maison climatisée, dégustant des mets rares et raffinés, tandis que son ex-esclave cuit sous des tôles en zinc, avalant péniblement une plâtrée de riz blanc saupoudré de sable…

Quoiqu’il s’agisse, là, d’une présentation évidemment caricaturale d’une conjoncture beaucoup plus nuancée, voire autrement contrastée, la fracture du quotidien est réelle et d’autant plus grave, en Mauritanie, qu’elle tend à séparer le peuple des tenants traditionnels du savoir islamique.

Un nouveau référentiel de valeurs

Ainsi transplantée dans la société de consommation, l’antique organisation du désert famélique accouche d’un hybride qui apparaît d’autant plus monstrueux que les signes de l’iniquité de partage des richesses sont matériellement omniprésents – 4x4, maisons de luxe, parures somptueuses – et font, bientôt, office de référentiel de valeurs, en porte-à-faux, donc, des valeurs, frugales, du désert et de celles, communautaires, de l’islam. C’est dans ce contexte que se développent diverses prédications islamiques exogènes. Deux tiennent particulièrement le haut du pavé.

L’enseignement wahhabite et les missions des Tablighs. Le premier a pignon sur rue, près la grande mosquée saoudienne, et s’évertue, particulièrement, à démontrer le caractère « pervers » des confréries soufies, tout particulièrement, la Tijaniya, qui détiennent la grande majorité des écoles coraniques et des mahadras dans le pays. De fait, le « projet » wahhabite, en Mauritanie, relève de la stratégie d’implantation sous-régionale du royaume saoudien en Afrique de l’Ouest et combat tout ce qui lui semble concurrentiel.

La prédication tabligh tient école à proximité de la mosquée des Chorfas, non loin, donc, du marché Capitale. Elle essaimera, plus tard, dans divers quartiers de la banlieue, au sud et à l’est, surtout, investissant quelques mosquées, à l’instar des Wahhabites, via leurs élèves formés dans leur mahadra. Ordinairement quiétiste, elle est plus spécifiquement salafiste, en ce qu’elle insiste particulièrement sur la lecture – en sus, bien évidemment, du Saint Coran – des sunnas du prophète (PBL) et de ses compagnons, dans une approche ordinairement littéraliste qui les rapproche singulièrement des Wahhabites, mais toujours consciente d’une dimension spirituelle qui les garde relativement au contact des soufis.

D’autres influences, plus maghrébines, diffuses et irrégulièrement alimentées par les allées et venues, spontanées, entre le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie – l’hypothèse que cette dernière puisse devenir une base de repli pour diverses cellules terroristes d’Afrique du Nord fut évoquée dès 2002 – sont plus difficilement repérables. Mais, somme toute, il manquait, à tous ces éléments variablement déstabilisateurs d’un « bon sens bédouin » assez souple pour avoir traversé des siècles d’Irivi – nom local de l’Harmattan – un catalyseur suffisamment puissant pour déclencher de notables réactions conjuguées en Mauritanie.

Si la seconde guerre du Golfe exaspéra l’insupportable sentiment général d’injustice, c’est un autre facteur, apparemment fort éloigné de considérations islamiques, qui semble pourtant mettre le feu aux poudres : l’entrée de la Mauritanie dans le cercle étroit des producteurs de pétrole.

La question avait agité, à la veille des indépendances, le microcosme des grands décideurs de la planète : les ressources minières sahariennes, certaines, quoiqu’encore insuffisamment prospectées, étaient-elles exploitables ? Le projet français de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) l’affirmait et proposait une étonnante solution qui ne fut pas retenue (1), au profit d’une partition à la règle qui débouchait, tout droit – c’est le cas de le dire – sur l’établissement d’une vaste zone de non-droit où au moins cinq Etats naissants avaient à entretenir d’interminables frontières, à des milliers de kilomètres de leur capitale respective et dans les pires conditions climatiques possibles.

La question revint discrètement sur le tapis, vingt-cinq ans plus tard, avec le premier choc pétrolier, mais ce n’est véritablement qu’au tournant du millénaire que la flambée des cours des hydrocarbures et, plus généralement, la raréfaction planétaire des produits miniers firent convenir de la prochaine rentabilité de l’exploitation industrielle du Sahara.

Coïncidences troublantes

En 2001, l’annonce de la découverte, par Woodside, une compagnie australienne de prospection en hydrocarbures, d’un gisement à huit cents mètres de profondeur, au large des côtes mauritaniennes, attise les convoitises. Fin 2002, un rapport de la Banque Mondiale (BM) évoque la très forte probabilité d’une nappe colossale, dans le bassin de Taoudenni, une zone à cheval entre le Nord-est mauritanien, le nord du Mali et le Sud-est algérien.

On va assister, alors, à une succession de coïncidences pour le moins troublantes. Après l’annonce de la BM, une délégation de militaires états-uniens se rend à Alger, début janvier 2003, officiellement pour discuter d’un contrat de ventes d’armes dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Elle rencontre, notamment, le général Mohamed Médiène, dit Tawfiq, chef du Bureau du Renseignement et de la Sécurité (BRS).

Fin janvier, voici le secrétaire-adjoint américain de la Défense chargé de la sécurité, Peter W. Rodman ; début février, c’est au tour d’une délégation représentant plusieurs services états-uniens de renseignements, dont le FBI, la CIA et la NSA, de venir discuter avec les services du DRS et de l’Armée Nationale Populaire (ANP), toujours dans l’officiel cadre de la coopération antiterroriste.

Entre le 22 février et le 22 mars, six groupes de touristes européens (trente-deux personnes au total, dont seize allemands) sont enlevés, avec leurs véhicules, près d’Illizi. C’est la première action d’éclat accomplie, au Sahara, par un groupuscule à visage islamique que la presse algérienne identifie, fin avril, comme étant une unité du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), conduite par Abderrezak El Para, désormais présenté comme un « lieutenant de Ben Laden », chargé d’« implanter Al Qaïda dans la région du Sahel ».

Auparavant considérée, par l’opinion internationale, comme le sanctuaire d’une légitime revendication touarègue, au même titre que celle des Kurdes, au Moyen-Orient, la zone va désormais apparaître, avec ce coup hautement médiatisé, comme un foyer d’insécurité qu’il va falloir, tôt ou tard, éteindre. Fin de l’acte 1.

Mais, pour comprendre la suite, il est nécessaire de revenir un peu sur l’histoire du GSPC. Fondé en septembre 1998, ce groupement avait supplanté, dès l’élection d’Abdelaziz Bouteflika, l’année suivante – la chronologie n’est pas fortuite – les Groupes Islamiques Armés (GIA), sur la scène du terrorisme à visage islamique en Algérie. Neuf ans plus tard, il se transformera en « organisation d’Al Qaïda au Maghreb Islamique » (AQMI).

Rappelons, ici brièvement, que les GIA, officiellement ennemis du pouvoir algérien, l’étaient surtout de l’Armée Islamique du Salut (AIS), présenté comme le « bras armé » du Front Islamique du Salut (FIS), dont la victoire électorale de décembre 1991 avait provoqué le coup d’État militaire de janvier 1992 et la longue « guerre civile » qui s’en suivit.

Dans un volumineux dossier, paru, pour la première fois, en 2007 – quelques mois après la fondation de l’AQMI – sur le site d’ «Algeria-Watch » (2), une association algérienne de défense des droits de l’Homme, François Gèze et Salima Mellah ont montré que l’exploitation rigoureuse et critique des nombreuses sources « ouvertes » disponibles sur le GSPC algérien (sites web, articles des presses algérienne et occidentale), combinée à l’analyse des singularités du régime algérien depuis 1962, ne laissait place à aucun doute :

le GSPC était une œuvre du DRS dont les chefs contrôlent, depuis la guerre civile des années 1992-1999, la réalité du pouvoir. Derrière la façade civile du président Abdelaziz Bouteflika, réélu en 2004 et 2009, le « terrorisme résiduel » du GSPC fut un de leurs instruments pour consolider leur mainmise sur les richesses du pays et se légitimer auprès des puissances occidentales, en particulier auprès des Etats-Unis, grâce à l’adhésion à la « Global War on Terror ».

Cependant, pour bien comprendre les péripéties de cette manipulation, il faut entendre que les intérêts états-uniens ne restèrent pas les seuls à s’agiter sous la couverture du pouvoir militaire algérien. Quoique le puissant général Tawfiq fut manifestement acquis à leur cause, divers autres généraux, à commencer par Abdel Aziz Bouteflika, cherchèrent à contrecarrer cette omnipotence, en tentant de jouer d’autres cartes, notamment russes et françaises. Longtemps en vain. Mais les intérêts français s’agitent, eux aussi, sous une autre façade : la Mauritanie.

La piste est au moins doublement sérieuse : tout d’abord, la relativement faible distance entre le bassin de Taoudenni et l’océan Atlantique, comparée à celle vers la Méditerranée ; secondement, les liens étroits tissés avec certains hauts militaires mauritaniens, via, notamment, leurs formations militaires au Maroc. (A suivre)

Ian Mansour de Grange

Notes

1- : http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=245

2-: http://www.algeria-watch.org/fr/aw/gspc_etrange_histoire_intro.htm



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